Posted by : Unknown samedi 29 septembre 2012



 ENQUÊTE-TÉMOIGNAGES : L’automédication, un recours non sans risque


Par Zaïd Zoheir Le Soir d’Algérie

L’automédication est une pratique qui s’inscrit dans les mœurs. Ses adeptes se recrutent au sein de différentes catégories sociales. Négligence, nostalgie, «legs» parental, méfiance vis-à-vis des praticiens de la santé… sont autant de facteurs incitateurs.

Abdou, 52 ans, cadre à la zone industrielle de Skikda 
«Je suis un adepte de l’automédication depuis des années. Je garde de mon enfance une image référentielle : les sachets d’aspirine que l’on achète chez l’épicier du coin. Donc, j’y recours par nostalgie. De toute façon, cela reste mon avis, pour les maux de tête, les maux d’estomac, les maux de gorge et les courbatures, on n’a pas besoin de médecin. La preuve, je prends du paracétamol quand j’ai de la fièvre, une douche froide accompagnée d’un sommeil lorsque j’ai un mal de tête.» 

Fatima, 49 ans, institutrice 
«J’ai des crises chroniques du côlon depuis plus d’une décennie. Les nombreuses consultations médicales m’ont permis d’apprendre par cœur les médicaments à prendre. Je connais aussi les médicaments à consommer lorsque la crise est accompagnée d’une diarrhée. C’est dire que depuis un certain temps, j’ai pu me passer du conseil d’un médecin ou d’un spécialiste.» 

Dounia, 24 ans, diplômée de l’INSFP 
«C’est en de rares occasions que je me déplace chez le médecin : c’est lorsque je lui fais confiance. Sinon, je me débrouille toute seule : un suppositoire à la glycérine pour la constipation, du paracétamol pour des douleurs dentaires. Et le soulagement est au bout ! Récemment, j’ai eu une douleur au cou, mon père m’a acheté une pommade, et après un traitement de quelques jours, je ne ressentais plus rien.» 



Zoubir, 51 ans, praticien de la santé publique 
«C’est un risque que sont en train de prendre ces gens-là. Le non-respect de la posologie et la durée du traitement provoquent un énorme danger de santé publique. Il y a aussi le fait que le malade puisse développer, sans qu’il le sache, une pathologie pour laquelle le médicament pris est néfaste. On peut fermer l’œil sur la levée de l’urgence : le patient consomme des pilules pour éviter des complications de sa maladie. Mais, le lendemain, il doit prendre attache avec un médecin. Car à la longue, la généralisation de la pratique de l’automédication appelle à une question : à quoi servira donc le praticien si tout le monde s’amuse à faire de l’auto-consultation ?» 

Radia, 23 ans, universitaire 
«C’est ma mère qui nous administre les médicaments. Par exemple, quand j’ai des douleurs dorsales, elle me conseille Voltarène 75 mg quand c’est atroce, et 50, quand c’est léger. Je vous donne également le cas de la fausse couche de ma cousine, accompagnée par des écoulements de lait.

Lorsque cette dernière a rendu visite au médecin, ce dernier lui a prescrit des médicaments. De retour à la maison, c’est ma mère qui a relevé les médicaments qui lui ont causé cette pathologie. Chose que confirmé le médecin. Donc, ce dernier s’est trompé. Heureusement que ma mère est une chevronnée en consommation médicamenteuse». 

Kader, 45 ans, cadre de l’administration 
«Généralement, j’évite le médecin quand il s’agit de grippe pas très grave, de diarrhée ou de maux de tête. Je juge utile, surtout lorsque cela a donné de bons résultats dans le passé, d’aller dans une officine ou chez un herboriste. Mais lorsque la situation empire, quand ça dépasse les 4 ou 7 jours, le recours au médecin devient impératif, voire urgent.» 



Rachid, 31 ans, cadre dans un organisme privé 
«Le recours à l’automédication est une manière pour moi de découvrir les remèdes. Au préalable, je surfe sur le Net pour en connaître les principaux, pouvant être utilisés pour telle ou autre pathologie. Sitôt mon égo satisfait, je peux, lorsque je constate que la guérison n’a pas été au bout du traitement, consulter un médecin. Préconiser l’automédication est pour moi, dans la majorité des situations, l’option appropriée pour lever l’urgence.» 



Lotfi, 43 ans, investisseur 
«C’est dans le cas extrême seulement que je consomme des médicaments, le plus souvent contre les maux de tête et d’estomac et les douleurs dentaires. Je m’en tiens quand même au respect de la posologie. Au cas où la pathologie persiste, je cours chez le médecin.» 
Taher, 32 ans, cadre à la wilaya «Oui, à plusieurs reprises. 
Quand je connais la maladie et les médicaments, je n’ai pas besoin de voir le médecin. Je consulte quand il s’agit d’allergies ophtalmiques, d’abcès ou de grippe et lorsque je récidive pour telle ou autre maladie pour laquelle le médecin m’a prescrit des médicaments. Il y a aussi un cas à relever : des médecins qui donnent le même médicament pour tous les malades. Cela m’a un peu encouragé à consommer le même médicament à chaque rechute.» 

Lamine, 49 ans, agent à l’APC 
«J’achète tout seul des médicaments pour le traitement des infections ophtalmiques. Ce sont des médicaments à consommer dans une durée ne dépassant pas les 15 jours, donc, au-delà de ce délai, et lorsque je constate que des larmes coulent de mes yeux, je cours chez le pharmacien le plus près pour acheter deux autres flacons. A chaque apparition des symptômes, c’est ce traitement que je m’auto-prescrits».


Article suivi de L’entretien de la semaine AYACHE Salah, pharmacien et président du bureau de Skikda du SNAPO, au Soirmagazine :

«L’automédication est la forme d’une mauvaise éducation sanitaire»

Par Zaïd Zoheir Le Soir d’Algérie

Soirmagazine : Depuis combien d’années exercez-vous la profession de pharmacien ? 
Ayache Salah : Depuis 20 ans, la date de mon installation fut en 1992.

L’automédication est une pratique courante. Qu’en pensez-vous ? 
Je pense qu’il ne faut pas trop s’alarmer, seule une infime partie des médicaments se vend sans ordonnance chez le pharmacien. Généralement, ce sont des antiseptiques, dont la nuisance n’est pas d’une ampleur aggravante. Donc, pour l’exemple que je viens de donner, l’automédication, si on peut l’appeler ainsi, n’est pas négative. En revanche, les médicaments pour les maladies chroniques (diabète, hypertension….), qu’on appelle médicaments de spécialité, ne sont jamais cédés sans ordonnance. Dans ma carrière, je n’ai jamais vu un malade chronique se présenter chez nous pour acheter les médicaments dont il a besoin. Il y a aussi le renouvellement d’ordonnance qui ne nécessite pas le recours au médecin.

A-t-elle enregistré une augmentation par rapport aux années précédentes ? 
Une diminution, depuis l’instauration du tiers payant, parce y a eu une abondance d’ordonnances et de prescriptions médicales.

Quelles sont les causes qui poussent les gens à y recourir ? 

A mon avis, l’automédication est une forme poussée de la mauvaise éducation sanitaire. Il faut le dire crûment, il y a des raisons valables et historiques à cela, héritées de l’ère de la colonisation. Le legs est immense, comme l’illustre le fait que l’on qualifie d’anodin, mais qui est assez révélateur : on peine à éduquer nos enfants à se brosser les dents trois fois par jour. Il y a aussi le fait des ordonnances. L’ordonnance doit être lisible. Quand on sait que les pharmaciens trouvent des difficultés à déchiffrer les ordonnances, il ne faut pas trop s’étonner de voir les malades souffrir une once de plus à le faire. Dans les pays développés, les malades sont presque au même niveau d’instruction ou d’information que les médecins ou les pharmaciens, ce qui facilite la tâche des deux parties à trouver un terrain d’entente. Un problème de société complique également la donne : les gens ne font plus confiance aux médecins et, un petit peu, aux pharmaciens ; et en font, par contre, à l’ami, au collègue ou au voisin.

Quels en sont les risques ? 

Les risque de l’automédication peuvent entraîner le surdosage, une allergie ou un choc susceptible de provoquer la mort ou, du moins, compliquer la maladie. Pour plus d’informations, on peut avancer l’exemple du non-respect de la durée du traitement dans le cas des antibiotiques, pouvant provoquer une résistance des microbes par rapport aux médicaments. Le fait de ne pas se mettre au diapason des mutations mondiales est un facteur qui doit aussi être pris en considération. En France, on utilise la Péni G alors qu’en Algérie, on continue de prescrire l’Orapen dans le traitement de la grippe, une infection virale.

Quels sont les médicaments les plus demandés par les patients qui ne recourent pas à la prescription médicale ? 

Généralement, ce sont les antibiotiques pour enfants. Des parents raisonnent de cette façon : je prends le traitement pour 400 DA : l’amoxicyline 250 ou 500, au lieu d’une consultation coûtant 600 DA qui se soldera, de toute façon, par la prescription de ce médicament.

La Cnas est-elle gagnante ? 

Il n’y a pas que la Cnas, il y a aussi la Casnos et la Caisse de sécurité sociale militaire. Avant l’instauration du tiers payant, avec les médicaments qui se vendent sans ordonnance, les caisses de Sécurité sociale étaient gagnantes. Actuellement, 80% des patients sont remboursés par la Cnas. C’est dire que l’automédication est une bonne technique qui fait les frais des caisses.

Un dernier mot ? 

Le plus grand problème, c’est la rupture des médicaments, laquelle a créé le phénomène du stockage. Un stock stratégique. De peur de tomber sous le coup de la pénurie, les malades en achètent beaucoup. Une option génératrice de surdosage ou de non-respect de la posologie. Dans les deux cas, il y a un impact négatif sur la santé publique. Je tiens également à souligner un fait grave : le retour des maladies moyenâgeuses : la gale, la tuberculose, et ce, pour ne citer que celles-là. Depuis quelque temps, chaque jour que Dieu fait, on reçoit des cas révélateurs. Après 50 ans d’indépendance et des milliards de dinars consentis dans le secteur de la santé, la société algérienne se retrouve à gérer des maladies subordonnées à la pauvreté. C’est navrant !



Club Algérien des Pharmaciens de l'Industrie

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