Posted by : Unknown lundi 16 juillet 2012

Patrick Couvreur est un pionnier. Chercheur et créateur d'entreprises, il se bat depuis trente-cinq ans pour que ses médicaments du futur puissent soigner cancers et infections graves. Aujourd'hui, il touche au but.
Au plafond, la peinture cloque. "Une écaille chute parfois dans un tube à essai", soupire Patrick Couvreur. Dans les locaux de la fac de pharmacie de Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine), ce biopharmacien travaille pourtant sur des objets ultradélicats : les nanomédicaments. Des principes actifs enfermés dans des capsules 70 fois plus petites que des globules rouges, transportées vers les cellules malades. Pour ces travaux amorcés il y a trente ans, ce pionnier - qui a déjà déposé 50 brevets - vient de recevoir la médaille de l’innovation du CNRS. À 62 ans, il fait un rêve : "Qu’un de mes médicaments soit mis sur le marché pour soigner des patients qui n’ont aucun recours actuellement."

1975 : le rêve de minuscules comprimés

On l’a parfois pris pour un hurluberlu. Mais ce Belge naturalisé français, curieux et souriant, a toujours suivi son idée. "J’étais un élève moyen en tout, bon en rien. J’aime tirer plusieurs fils, frayer avec d’autres disciplines. J’ai fait de ma faiblesse un atout." La passion des sciences lui est venue au lycée, grâce aux pères jésuites. Une révélation. En 1975, il achève sa thèse de pharmacie consacrée aux comprimés. Et c’est par hasard que germe l’idée des nanomédicaments, en déjeunant avec ses voisins de labo à l’Université catholique de Louvain. "Ces chercheurs de l’équipe du Nobel belge Christian de Duve cherchaient un moyen d’acheminer les molécules médicamenteuses directement dans les cellules malades. Ils rêvaient de minuscules comprimés."
À l’époque, les premières nanoparticules de Nylon sont mises au point. Et si on pouvait leur faire transporter un médicament? L’esprit créatif de Patrick Couvreur fait le lien. À l’École polytechnique de Zurich, le chimiste Peter Speiser y croit et finance son postdoctorat. Première victoire en 1977 : Couvreur parvient à "encapsuler" une molécule de fluorescéine dans une nanoparticule de Nylon. "Elle n’était pas injectable à l’homme, car toxique. Mais j’ai démontré qu’une molécule pouvait pénétrer au cœur d’une cellule grâce aux nanotechnologies." Une révolution, et une première mondiale.

1997 : un nanomédicament pénètre une cellule

Reste à trouver un "transporteur" injectable à l’homme. L’intérêt serait double pour des pathologies comme les cancers : améliorer l’efficacité du médicament en l’adressant à une cible spécifique et, du même coup, réduire sa toxicité. Pour fabriquer cette capsule de quelques dizaines à quelques centaines de nanomètres*, Couvreur imagine utiliser une colle chirurgicale biodégradable, le cyanoacrylate. Après treize ans de recherches menées à Châtenay-Malabry, il prouve en 1997 que ses nanoparticules chargées d’un anticancéreux réussissent à franchir les mécanismes de résistance des cellules. Leur efficacité s’en retrouve boostée. Et il découvre que "la manière de délivrer le médicament est peut-être aussi importante que le médicament lui-même. Si vous absorbez un gramme de comprimé, vous présentez à l’organisme une surface de principe actif de 1 cm2. Si vous divisez ce comprimé en particules sphériques de 100 nm, vous présentez une surface d’environ 100 m2!"
Ces nanoparticules étant reconnues et captées par un seul organe, le foie, le chercheur cible ses essais sur une tumeur du foie, l’hépatocarcinome résistant. Il dépose des brevets en rafale et, avec deux industriels, fonde la start-up BioAlliance pour développer son nanomédicament. L’ouverture d’un bureau de cette société au milieu des salles de TP de la fac fait d’abord grincer des dents. Mais aujourd’hui, cotée en Bourse, elle emploie 60 personnes. Et d’ici deux ans, des malades pourraient bénéficier d’un "nano" efficace.

2000 : deux anticancéreux autorisés en France

Les nanoparticules sont injectées par voie intraveineuse, comme une chimiothérapie. Mais comment éviter que le foie les capture ? Pour atteindre d’autres organes, les chercheurs réussisent à les rendre furtives : elles circulent incognito dans le sang. "Coup de chance, s’amuse le professeur, la paroi des vaisseaux sanguins est 'trouée' au niveau des tumeurs. Du coup, les nanoparticules épargnent les tissus sains et passent dans les tissus malades." Aujourd’hui, les chercheurs peuvent même "adresser" ces nano-vecteurs vers les cellules d’un organe précis, y compris le cerveau. On ne bombarde plus le corps entier, on envoie des missiles de reconnaissance pour des frappes ciblées.
Les "nanos" font vibrer tous les labos du monde : pas moins de 700 publications scientifiques en 2011, et de nombreux essais en cours. Mais seulement une dizaine d’entre eux sont sur le marché. En France, deux nanomédicaments anticancéreux sont prescrits : le Caelyx (sarcome de Kaposi dès 1996, cancer des ovaires en 2000, du sein en 2003) et l’Abraxane (cancer du sein en 2008). C’est peu. Car pour les mettre au point, il faut faire plancher chimistes, biologistes, cancérologues… et dépenser des dizaines de millions d’euros. "L’industrie et les investisseurs français restent frileux", regrette Couvreur. Des dizaines de découvertes universitaires, publiées et efficaces chez l’animal, sommeillent ainsi dans la « vallée de la mort » des chercheurs. Faute d’argent, elles ne seront pas développées pour être appliquées à l’homme.

2012 : les promesses du squalène

La semaine dernière, le pragmatique Pr Couvreur est parti en Israël pour négocier avec un groupe pharmaceutique intéressé par sa dernière trouvaille, le squalène. Il a eu l’idée d’utiliser comme vecteur ce lipide présent dans la peau humaine ou la graisse de requin. En y "accrochant" chimiquement un médicament, il transporte 50% de principe actif, contre 1 à 5 % pour un "nano" classique. Autre progrès, le traitement n’est plus libéré accidentellement dans la circulation, mais juste lorsqu’il atteint les cellules malades visées. Les essais sont bluffants. "On a greffé des tumeurs pancréatiques humaines sur des souris. Les animaux non traités meurent après 40 jours. Avec le médicament actuel, la gemcitabine, ils meurent après 50 jours. Avec nos nanos, 70% des souris sont guéries!"
Une start-up dédiée, Med-squal, a vu le jour. Les brevets ont été déposés pour une utilisation avec d’autres médicaments, comme des anti-HIV. Mais après 3 millions d’euros engloutis pour prouver l’efficacité sur l’animal, les caisses sont vides. Le Pr Couvreur a fait le tour des groupes pharmaceutiques français. En vain. Fin 2011, il a encore amélioré son concept : grâce à des nanoparticules de fer, à la surface desquelles on pose un anticancéreux couplé aux squalènes, il suffit d’un aimant pour les attirer au plus près de la tumeur... et l’anéantir! Mais on peut aussi réaliser de l’imagerie médicale. Des "supernanos" qui soignent mieux et livrent un diagnostic en temps réel pour adapter le traitement. Ce "nanothéragnostic", applicable au cancer voire à des maladies cérébrales ou infectieuses, ouvre la voie à une médecine personnalisée. Un formidable espoir… en suspens.
* 1 nanomètre (nm) = 1 milliardième de mètre.


Source :  http://www.lejdd.fr/Societe/Sante/Actualite/Patrick-Couvreur-le-seigneur-des-nanomedicaments-529921

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